2015 : Me Luc Alarie

lucalarieLe Mouvement laïque québécois souhaite honorer cette année Maître Luc Alarie qui exerce sa pratique principalement dans le secteur du litige civil et commercial ainsi qu’en droit administratif. Il a été appelé à plaider régulièrement devant les tribunaux civils et administratifs et à représenter de nombreux clients dans les domaines de la responsabilité civile générale, notamment celui des droits de la personne, des assurances, du travail, les recours spéciaux tels l’injonction, le recours collectif.

Me Luc Alarie a participé aux travaux sur la réforme du code de procédure civile et il a plaidé plusieurs dossiers qui ont amené des changements législatifs, notamment en matière d’assurance invalidité, en droit du travail et en droit de l’environnement.

Les droits de la personne avant toute chose sont la règle que se sont donnés les avocats du cabinet Alarie Legault dans la prestation de leurs services professionnels.

Par son engagement professionnel et social et au travers des nombreuses causes défendues au nom du Mouvement laïque québécois  en faveur de la neutralité de l’État et du respect des droits démocratiques au cours des dernières années, celui-ci couronné par l’éclatante victoire en Cour suprême  dans la cause de la prière à Saguenay, nous voulons souligner l’importante contribution de Luc Alarie à  la promotion de la laïcité et de la liberté de conscience.

Le Prix Condorcet-Dessaulles a été institué par le Mouvement laïque québécois en 1993 pour souligner la contribution marquante d’une personne ou d’un groupe de personnes à la promotion et à la défense de la laïcité au Québec.

Nicolas de Condorcet (1743-17940), rappelons-le, était un grand philosophe politique et économiste, mathématicien et homme politique français, il s’engagea activement dans la lutte pour le respect des droits humains, prit la défense de la liberté de conscience, du droit de vote pour les femmes, de la liberté de presse, du droit pour tout citoyen d’exercer la religion de son choix ou de n’en exercer aucune, pour la séparation de la religion et de l’État, pour la répartition égalitaire des richesses. Condorcet est ainsi considéré à juste titre comme le penseur de la laïcité moderne et de la démocratie républicaine.

Dans le Québec du XIXe siècle, Louis-Antoine Dessaulles, (1819-1895) essayiste et homme politique, neveu de Louis-Joseph Papineau et membre de l’Institut canadien de Montréal, mena un combat inspiré du même idéal, en faveur de la liberté de pensée. Il affrontait le cléricalisme ultramontain qui prétendait alors constituer le pouvoir ecclésiastique en véritable État dans l’État. Son action et son oeuvre font de lui un fils spirituel de Condorcet en terre québécoise.

Avant de passer la parole à Daniel Baril qui vous parlera de Luc Alarie, qui ont initié l’avènement du MLQ je veux souligner les salutations de M. Guy Rocher, Rodrigue Tremblay, Caroline Beauchamp anciens lauréats du prix qui ne peuvent être présents aujourd’hui ; se sont excusées la présidente de la CSQ et du SFPQ.   Je salue ici la présence de Yvan Lamonde, Daniel Baril, et Micheline Trudel et d’un ancien président du MLQ,  M. Henri Laberge.

Lucie Jobin, présidente du MLQ

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Daniel Baril, Me Luc Alarie et Lucie Jobin, Présidente du MLQ

REMERCIEMENTS

Je remercie le Mouvement laïque québécois et les membres du Conseil national de l’honneur qu’ils me font par l’attribution du Prix-Condorcet-Dessaulles 2015 après la victoire en faveur de la laïcité des institutions publiques devant la Cour suprême du Canada dans le dossier sur le caractère discriminatoire de la prière aux assemblées municipales.
Cette victoire résulte d’un long cheminement qui a commencé en 1988 avec le dépôt d’une première plainte auprès de la Commission des droits de la personne (la « Commission) » dénonçant le caractère discriminatoire de la prière au conseil municipal d’Outremont. Après deux ans d’enquête, la Commission avait adopté à la majorité une résolution demandant à la ville de cesser la récitation de la prière aux assemblées du conseil. Vu le refus du conseil municipal, la Commission avait saisi le Tribunal des droits de la personne (TDP) de la plainte pour ensuite s’en désister 13 ans plus tard en 2001 après que le nouveau conseil municipal ait décidé de l’abolir.

Entre-temps, j’avais porté personnellement une plainte similaire en 1996 contre la Communauté urbaine de Montréal. Après quatre ans d’enquête de la Commission, la CUM a voté à la majorité le maintien de la récitation de la prière à l’encontre de la recommandation de la Commission. En fait, le litige n’a jamais été résolu par le Tribunal parce que la Commission a refusé de procéder préférant attendre la dissolution de la CUM avec les fusions municipales le 1er janvier 2002 et d’éviter de faire un procès.
En juin 2001, c’est au tour de Danielle Payette, membre du MLQ et résidente de Laval, de porter plainte à la Commission contre la récitation de la prière au conseil municipal. Après enquête, la Commission saisit le TDP 3 ans plus tard en 2004. Un premier procès se tient en juin 2006, 18 ans après la première plainte de 1988 à Outremont et on obtient un jugement favorable en septembre 2006. Le TDP ne manque pas alors de souligner le rôle du MLQ :

[44] Il ne faut pas minimiser le rôle des organismes qui portent plainte à la Com-mission pour le compte d’une victime, ni le rôle des avocats qui les représentent. Les ressources souvent limitées de ces groupes voués à la défense des droits et libertés de la personne ne devraient pas les dissuader ni les empêcher d’accomplir leurs fonctions spécifiques de protection. Au contraire, les articles 74 et 116 de la Charte doivent être interprétés de manière à encourager ces groupes à remplir leur mission de défense.
[45] La Commission n’aurait pu, à elle seule, présenter au Tribunal tous les éléments nécessaires à la solution complète du litige, n’eût été de la présence et de l’implication du procureur du MLQ.
Malgré le jugement obtenu contre Ville de Laval et un rappel par la Commission à toutes les municipalités de cesser la pratique discriminatoire, d’autres plaintes ont dû être portées notamment contre Verdun, Trois-Rivières et Saguenay en 2007. Si Verdun et Trois-Rivières ont abandonné la pratique, le maire de Saguenay, Jean Tremblay, a alors décidé de mener un combat religieux en utilisant ses fonctions et les ressources de la ville.
Dans cette affaire de Saguenay, on a encore fait face aux réticences de la Com-mission : l’enquêteur a refusé d’enquêter sur la plainte de M. Simoneau contre l’exposition des symboles religieux pour s’en tenir à la seule question de la prière. Après le refus obstiné de Saguenay de se plier au jugement rendu à Laval, la Commission baisse les bras et laisse la victime de discrimination, M. Simoneau, à son propre sort. Le MLQ a dû prendre seul la relève en 2008 pour saisir le TDP d’un recours, faire le procès en 2009 et 2010 et obtenir un jugement favorable en février 2011.
On sait que la Cour d’appel a renversé le jugement du TDP en mai 2013 en faisant appel au principe de la « neutralité (dite) bienveillante de l’État » de manière à sauvegarder un héritage religieux catholique dans le fonctionnement des institutions publiques.
Vingt-sept ans après le dépôt de la première plainte en 1988, la Cour suprême a finalement rétabli à l’unanimité (9 juges sur 9) le jugement du Tribunal sur la prière au conseil municipal de Saguenay en avril 2015.

Le déroulement de la contestation de la prière au conseil municipal démontre bien la difficulté de faire reconnaître le principe de la nécessaire laïcité de l’État et qu’il faut demeurer vigilant devant toutes les tentatives des gouvernements à exercer un contrôle sur la liberté de conscience en faisant appel à des valeurs morales ou à des préjugés religieux à l’encontre des valeurs d’égalité et de dignité que l’on retrouve dans nos Chartes des droits et liberté. Le crucifix au-dessus du siège du président à l’Assemblée nationale est un exemple patent de la volonté des députés de maintenir, à l’instar de la Cour d’appel, un ensemble de valeurs dites historiques de la société québécoise comme si elles étaient toutes compatibles avec les valeurs inscrites dans les chartes des droits.
Je dois dire également que je suis très honoré de recevoir le Prix Condorcet-Dessaulles parce que je le vois comme étant une forme d’achèvement dans l’exercice de ma liberté de conscience dans ma vie personnelle, familiale et professionnelle. Mon militantisme a d’ailleurs débuté avec la cellule laïque que j’ai formée avec ma conjointe et nos deux enfants. On s’est marié en 1970 à l’époque où le mariage civil venait tout juste d’être reconnu et qui pouvait être célébré par un célébrant laïque. Nos enfants ont ensuite suivi notre parcours familial en matière de liberté de conscience en n’étant pas baptisés et en étant exemptés de l’enseignement religieux pour être libres de choisir leurs propres valeurs.
C’est pourquoi je suis devenu membre de l’AQADER, le précurseur du MLQ, qui avait alors gagné une première bataille avec la reconnaissance du droit à l’exemption de l’enseignement religieux dans les années 70 et qui réclamait l’enseignement moral à l’école publique. C’était un cheminement naturel pour revendiquer plus tard la laïcité des institutions publiques d’où la création du Mouvement laïque québécois dont j’ai été l’un des membres fondateurs en 1981.

Je me rappelle une anecdote en 1979 où j’avais plaidé pour l’AQADER l’autorisation d’exercer un recours collectif contre l’ancienne Commission des écoles catholiques de Montréal sur le droit à l’exemption de l’enseignement religieux et le droit d’obtenir des services en enseignement moral dans chaque école publique. L’assistance dans la salle d’audience avait sorti ses chapelets pour manifester son opposition. Le même manège s’est répété 30 ans plus tard à Saguenay en 2009 lorsque l’évêque du diocèse est venu s’assoir dans la salle d’audience avec son habit d’apparat et son crucifix dans le cou après que j’aie obtenu du Tribunal le retrait de la salle d’audience du crucifix suspendu au-dessus du banc des juges. Comme quoi le lobby religieux est toujours présent pour tenter d’influencer le fonctionnement des institutions de l’État et pour s’opposer à tout changement en faveur de la liberté de conscience.
En 1983, une Commission scolaire catholique à Trois-Rivières, après avoir tenté d’assurer l’enseignement moral par les soins bénévoles d’une religieuse, s’adresse à la Cour supérieure ne dispenser l’enseignement moral que dans certaines écoles seulement et de transférer d’école les enfants pour lesquels l’exemption était demandée Je plaidais alors le droit des enfants de fréquenter l’école publique la plus rapprochée de leur résidence peu importe leurs convictions religieuses et comme le prévoyait d’ailleurs la réglementation.
La Cour supérieure a conclu que le droit de recevoir l’enseignement moral ne pouvait s’appliquer à toutes les écoles publiques. La Cour d’appel, comme dans le dossier de Saguenay 30 ans plus tard, n’y a pas vu de discrimination fondée sur le droit à la liberté de conscience : « Les appelants ont choisi pour leur enfant l’enseignement moral plutôt que l’enseignement religieux. Il ne s’agit pas, que je sache, d’antithèses. L’une s’accommode fort bien de l’autre et rien ne permet de croire, a priori, que le choix de la morale exclut celui de la religion ou celui de la religion celui de la morale (juge Vallerand).» Pour la Cour d’appel, l’enseignement moral ne pouvait donc être autre chose que religieux.
La Cour suprême du Canada, au début de l’entrée en vigueur de la Charte canadienne et probablement en raison de l’article 93 sur les écoles confessionnelles, a refusé d’entendre l’appel. Il a fallu attendre en 1997 pour obtenir le retrait de l’article 93 et le remplacement éventuel des commissions scolaires confessionnelles par des commissions scolaires linguistiques. Le cheminement vers l’école laïque n’est pas encore terminé avec l’instauration du cours ÉCR où l’État préfère encore transmettre la culture des religions majoritaires plutôt que les valeurs fondamentales des Chartes des droits.

Puisqu’il s’agit ici du Prix Condorcet-Dessaulles, je trouve pertinent de mentionner qu’en 1988, j’ai été l’initiateur du Cercle Condorcet au sein du MLQ. Il s’agissait, à l’instar des Cercles Condorcet en France, d’organiser des discussions, des études et des débats sur l’actualité. L’analyse des enjeux sociaux était centrée sur la raison et sur la primauté des droits et libertés fondamentaux. Pour ne citer que quelques débats, la première conférence publique du Cercle en mai 1989 avec Claude Julien, l’ancien directeur du Monde diplomatique, s’intitulait : « Réinventer la démocratie dans un monde en mutation ». Jacques Parizeau avait suivi en février 1990 avec un débat sur le projet d’une future constitution laïque pour le Québec . Dr Jacques Mackay, ancien président du MLF créé en 1961 et Prix Condorcet en 2002, avait enchainé en avril 1990 avec le thème de « La laïcité constitue une valeur d’avenir » Dr Mackay nous disait : « La laïcité ouvre l’esprit à la diversité des influences. Elle s’imposera d’autant plus que coexisteront des modes de vie et de pensée différents ». Il ajoutait :
« La laïcité est une avenue extrêmement riche à deux niveaux. D’abord au niveau interculturel. C’est un enrichissement collectif d’envisager les choses de cette façon. Ensuite au niveau politique, dans le bon sens du terme. C’est en effet concrétiser une ouverture qui nous a un peu manqué, à nous, Québécois. Nous n’avons pas toujours eu un terrain d’accueil qui profite aux enfants des autres cultures. C’est un des facteurs qui n’a pas aidé à l’intégration des enfants des autres cultures. C’est un des facteurs qui n’a pas aidé à l’intégration des populations immigrantes. Je vois donc beaucoup de mérite à l’avenue de la laïcité. D’autant plus que voilà une façon d’entrer dans un débat public qui ne peut pas ne pas avoir d’écho au moment même où tout le monde parle de l’intégration des minorités culturelles. »

Le TDP, dans l’affaire Saguenay, a tenu des propos tout à fait semblables en 2011 :
[268] Le Tribunal s’interroge enfin sur les conséquences potentielles de l’exclusion de citoyens à un moment et dans une salle où tous sont invités à venir participer aux activités de la vie démocratique municipale. Quelles que soient leurs convictions en matière religieuse, tous doivent en effet avoir la possibilité de participer pleinement à de telles activités, voire d’accéder aux charges publiques. Or, bien que monsieur Simoneau n’ait exprimé aucune intention en ce sens, il est difficile d’imaginer comment un citoyen athée, ou d’une autre confession religieuse, qui souhaiterait accéder à des fonctions de conseiller municipal ou de maire, pourrait le faire dans ce contexte fortement religieux imprégné par le catholicisme.
[334] La récitation de la prière et l’exposition de symboles religieux dans les salles où se déroulent les assemblées publiques du conseil municipal témoignent de la volonté du maire, des conseillers municipaux et des principaux administrateurs de la Ville de Saguenay d’imposer délibérément et de façon intentionnelle leurs vues religieuses à l’ensemble de la population qu’ils sont censés représenter alors que la nature même de leurs fonctions s’oppose vigoureusement à la promotion des convictions religieuses qu’ils ont choisies. Il s’agit d’une atteinte illicite et intentionnelle au sens de la Charte, et dont la gravité est accentuée par le déséquilibre des forces en présence dans la mesure où il s’agit pour un citoyen, à titre individuel, de faire valoir ses droits à l’encontre d’une municipalité, représentant le pouvoir public.
En novembre 1989, le Cercle Condorcet prenait position en faveur de la décriminalisation de l’avortement et son accès libre et gratuit au Canada. En juin 1990, le Cercle Condorcet tenait une table ronde sur La langue et l’intégration des immigrants Enfin, autre événement à souligner fut la participation de Michèle Sirois à l’Atelier de Cherbourg des Cercles Condorcet français sur le thème des exclusions dans le domaine de l’éducation.

Bien que les activités du Cercle Condorcet se sont estompées en 1993, il serait intéressant que le MLQ reprenne la formule sous une forme peut-être plus cybernétique pour soutenir le débat sur la laïcité comme condition essentielle à l’exercice en pleine égalité du droit à la liberté de conscience dans une société de plus en plus diversifiée.
Je suis donc particulièrement heureux de recevoir le Prix Condorcet-Dessaulles alors qu’à titre de président du Cercle Condorcet et du MLQ en 1993, j’avais été aussi l’instigateur de la création du Prix pour la promotion de la laïcité au Québec. Je pense en particulier au Dr Morgentaler à qui j’ai eu le plaisir de remettre le Prix Condorcet 1994 pour son engagement indéfectible en faveur du droit des femmes à exercer leur libre choix en matière de procréation.
N’oublions pas que Dr Morgentaler, bien qu’il ait été acquitté par un jury, a été déclaré coupable par la Cour d’appel en 1974, sans nouveau procès, et condamné à la prison pour avoir pratiqué un acte médical que la Cour suprême a subséquemment décrit comme un acte nécessaire à la sécurité et à la dignité des femmes, ce qui a mis fin aux comités thérapeutiques des hôpitaux catholiques.
Je terminerais en vous citant quelques interventions du MLQ auxquelles j’ai activement participé :
En 1987, j’avais rencontré le sénateur Jacques Hébert (Prix Condorcet 2000) pour contrer l’adoption d’une loi en faveur de l’Opus Dei lui accordant des privilèges pour garder secret son fonctionnement interne et son financement que l’État subventionne à même des crédits d’impôt.
En 1988, à la Cour municipale de Montréal, j’obtenais que l’ancien président du MLQ ne soit pas jugé dans une salle d’audience ornée d’un crucifix au-dessus de la tête du juge. Depuis cette date, tous les crucifix ont été retirés des salles d’audience de la Cour municipale.
En 1993, je saisissais au nom du MLQ la Commission des droits de la personne sur l’utilisation de la Bible dans les tribunaux pour la prestation du serment, ce qui a amené le ministère de la justice à modifier la loi en 1994 pour ne prévoir que la seule prestation de l’affirmation solennelle dans les domaines de compétence provinciale.

En 1993, j’intervenais auprès de la Commission des droits de la personne et du Directeur général des élections afin qu’une liste électorale unique et permanente soit constituée pour les élections provinciales, municipales et scolaires de manière à éliminer toute référence à l’appartenance religieuse des électeurs lors des élections scolaires.
Toujours en 1993, j’intervenais à nouveau auprès de la ministre de l’éducation pour l’abolition des comités catholique et protestant du Conseil de l’éducation et je soumettais la candidature d’une personne athée comme candidate à un des postes du Conseil supérieur de l’éducation.
Lors de l’élection scolaire de 1994 à la CECM, plus de 20,000 électeurs avaient été exclus de la liste électorale parce qu’ils étaient classés « autres » que catholiques ou protestants. Les candidats de l’Association des parents catholiques avaient alors été élus au détriment de ceux du MEMO. Nous avions aussi obtenu qu’une Commission d’enquête publique examine tout le processus électoral des commissions scolaires confessionnelles qui détenaient le monopole absolu sur les écoles publiques.
Autre anecdote, lors de l’élection scolaire de 1994, je me souviens m’être présenté au bureau de votation avec ma conjointe pour exercer notre droit de vote. Notre fille Marilou, qui n’avait pas encore le droit de vote, nous accompagnait. On voulait lui montrer l’importance de voter, mais on était loin de se douter que ce droit nous serait refusé en raison de nos croyances religieuses et que notre fille en serait témoin.

En 2004, je suis intervenu en Cour suprême du Canada au nom du MLQ sur le Renvoi concernant la loi sur le mariage des personnes de même sexe. Tout en appuyant le projet de loi, son article 2 prévoyait accorder un privilège aux célébrants religieux les dispensant de célébrer le mariage civil autorisé par la loi, mais qui serait contraire à leurs convictions religieuses.
J’ai aussi au fil des années fait de nombreuses représentations au nom du MLQ afin d’obtenir la libéralisation de la célébration des mariages de telle manière que les mariages peuvent depuis plus de 10 ans être célébrés par toute personne et en tout lieu. La question des célébrants religieux qui refusent de célébrer des mariages civils à des personnes qui y ont droit est donc devenue assez théorique compte tenu des nouvelles règles de célébration.
En citant la Cour suprême dans Saguenay, on peut constater que la société a fait un pas de plus vers la reconnaissance de la neutralité réelle de l’État et de la liberté de conscience des incroyants :
134…Telle qu’elle est perçue par la cour (d’appel), la neutralité (dite bienveillante) obligerait en l’espèce à tolérer la profession par l’État d’une croyance religieuse bien identifiée, pour des raisons de tolérance envers son histoire et sa culture. Je ne crois pas que ce soit là le sens de la neutralité réelle de l’État en matière de liberté de conscience et de religion.
137… La cible de la neutralité réelle n’est pas la stricte autonomie de l’État par rapport aux perspectives religieuses. L’objectif de la neutralité est plutôt de faire en sorte que l’État demeure ― en fait et en apparence ― ouvert à tous les points de vue, sans égard à leur fondement spirituel. Loin de viser l’autonomie, la neutralité réelle exige que l’État ne favorise ni ne défavorise aucune religion et s’abstienne de prendre position sur ce sujet. Or, même « inclusive », une pratique religieuse étatique risque néanmoins d’exclure les incroyants; sa conformité avec la Charte québécoise ne dépend pas de son degré d’inclusion, mais de son caractère exclusif et de ses effets sur la capacité du plaignant d’agir en conformité avec ses croyances.
L’expérience a démontré que l’activisme judiciaire mené par le MLQ peut donner des résultats tangibles même lorsque les tribunaux ne nous ont pas donné rai-son. Cela a permis de dénoncer des atteintes à la liberté de conscience par l’État, de mettre en évidence la discrimination dans les services publics et d’amener le législateur à apporter des correctifs.
J’ai fêté mon anniversaire dernièrement, j’ai maintenant 70 ans, J’ai donné des milliers d’heures en 40 ans de militantisme pour témoigner de mes convictions. Mon plus grand souhait c’est que de jeunes gens prennent la relève, agissent selon leurs convictions profondes, ne se découragent pas face à un échec. Il faut de la persistance, de la patience et accepter la lenteur de l’évolution des mentalités.

Tout commence par notre liberté de penser, notre liberté d’expression, notre liberté d’association. Ces droits nous ont été légués par d’autres bien avant nous, hommes et femmes, engagés dans de multiples luttes afin de provoquer des changements dans notre société à travers notre histoire.
Ces changements ne se sont pas faits tout seul. Il a fallu des gens de convictions prêts à s’engager à long terme pour débattre de leurs idées avec de féroces opposants toujours convaincus de posséder la vérité. Il faut accepter que les changements sociaux ne se font pas à la vitesse d’un tweet. Dans la jeune trentaine quand j’ai commencé à militer, j’avais une profession mais pas de salaire garanti, j’étais à mon compte, j’avais une famille, deux enfants, une hypothèque et une auto à payer, des loisirs à planifier comme bien des jeunes de la présente génération. C’est très bien d’accompagner les enfants à leur joutes d’hockey, aller les reconduire et les chercher à la garderie, au cours de musique, de natation mais l’essentiel ne réside t-il pas aussi dans les valeurs de la société dans laquelle ils vivent et vivront avec leurs propres enfants. Nous avons un héritage à leur laisser, par notre exemple de citoyenneté et notre engagement à veiller sur leurs droits et leur sécurité dans une société libre et démocratique.

Luc Alarie
29 novembre 2015